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L’empire babylonien

Entre haine et fascination

Josette Elayi

Éditions Perrin, 2024, 362 pages, 23 €

Les éditions Perrin viennent de publier un nouvel ouvrage de l’historienne Josette Elayi, ancien professeur aux universités de Beyrouth et de Bagdad, puis chercheur CNRS au Collège de France à Paris. Sa bibliographie personnelle témoigne à elle seule de sa grande connaissance du monde proche-oriental antique, essentiellement la Phénicie, mais aussi la Transeuphratène (province de l’Empire perse achéménide (539-333 avant notre ère) qui comprenait la Phénicie, la Syrie, la Palestine et Chypre), ainsi que la Mésopotamie. Comme l’auteure est également diplômée d’akkadien, d’hébreu, d’araméen et de grec, elle est évidemment idéalement placée pour présenter au public averti et intéressé ce livre consacré à l’empire babylonien (626-539 av. J-C.). Après la Phénicie en 2018, l’empire assyrien en 2021, voici qu’elle prolonge son œuvre avec l’histoire de ce puissant empire aussi célèbre qu’éphémère. En bonne historienne, elle en rappelle le contexte de formation, dont l’histoire est liée à celle de l’empire assyrien qui l’a précédé (745-610 av. J.-C.), puis analyse son développement, son apogée et sa brutale chute devant la puissance perse de Cyrus le Grand. Babylone fut ainsi un empire passager puisqu’il dura à peine un siècle ! À ce sujet, l’auteure précise bien qu’elle traitera de l’empire babylonien et non pas du royaume babylonien qui, lui, est plus ancien puisqu’il remonte à la première moitié du IIe millénaire av. J.-C., avec son célèbre roi Hammourabi (1792-1760) et son non moins célèbre “Code des lois” conservé au musée du Louvre.

Pour rédiger son ouvrage, Josette Elayi s’est appuyée sur la vaste collection de textes akkadiens conservés, mais aussi sur les sources extérieures, notamment bibliques, égyptiennes et gréco-romaines, ainsi que sur les sources matérielles, c’est-à-dire archéologiques, ce qui n’est pas une gageure ! D’autant plus que les Babyloniens “jouissent d’une réputation exécrable de férocité et de débauche ”, rappelle-t-elle. La difficulté vient donc du fait que “ sans se placer sur le plan moral, l’historien doit analyser ce jugement de valeur pour en déterminer l’origine, comment il a été transmis et dans quelle mesure il est justifié ou non. Sa démarche doit être la suivante : ni condamner, ni réhabiliter, seulement rétablir les faits d’après les données dont il dispose, sans porter de jugement” (p. 16). Par conséquent, l’historien doit analyser et décrypter toutes les sources disponibles, sélectionner les événements décisifs, les faits déterminants et les courants fondamentaux. Il doit aussi privilégier les interprétations les plus plausibles, en se refusant de trancher quand les données dont il dispose ne le permettent pas : il doit rester objectif.

Ceci étant dit, cet ouvrage L’Empire babylonien. Entre haine et fascination est très accessible au grand public. Composé de onze chapitres d’une vingtaine de pages en moyenne, il commence par aborder l’histoire babylonienne de manière diachronique, depuis l’époque paléo-babylonienne au XXIVe siècle av. J.-C. jusqu’à la chute de l’empire au VIe s. av. J.-C. Le cœur du livre se concentre sur la formation du riche empire babylonien qui naît par la prise de pouvoir de Nabopolassar (626-605) après la destruction de l’empire assyrien ; l’auteure enchaîne ensuite sur son apogée, lorsque Babylone devient le centre du monde antique grâce à l’action de Nabuchodonossor (605-562) qui devient l’archétype du roi tout-puissant. C’est aussi l’occasion, pour Josette Elayi, de s’attarder sur le fonctionnement de l’empire proprement-dit, sur la religion et la culture, la description de la cité de Babylone ; enfin son étude s’achève par la chute brusque de l’empire et de son dernier souverain, Nabonide (556-539), puisqu’il disparaît brutalement face à l’armée perse de Cyrus II avec la prise de sa capitale en octobre 539 av. J.-C. Josette Elayi analyse alors les causes de cette chute que l’on peut résumer ainsi : excès de confiance des rois babyloniens qui étaient persuadés que leur capitale, Babylone, était imprenable grâce à ses fortifications ; absence d’état concurrent pouvant menacer leur hégémonie ; sous-estimation de la menace perse ; décisions malheureuses de Nabonide en matière économique et religieuse entraînant une fracturation de la société babylonienne ; fragilité structurelle de l’empire qui fut conçu comme un réservoir de richesses à exploiter au profit du dieu tutélaire Marduk et de sa capitale Babylone.

Une carte et une chronologie des rois babyloniens du Ier millénaire avant notre ère sont d’une aide très précieuse pour comprendre le cadre chronologique et géographique de cette histoire singulière qui, aujourd’hui encore, suscite la fascination et/ou le rejet. Des notes rassemblées par chapitre à la fin de l’ouvrage, une bibliographie très complète et à jour, ainsi qu’un index des noms propres très utile, font de ce livre une remarquable synthèse que le public francophone appréciera à sa juste valeur.

Bruno Bioul