Sommaire
Le dossier
- Introduction, par Michel Tarpin
- Occupation et déplacements dans les Alpes au Néolithique, par Mireille David-Elbiali
- Stèles anthropomorphes et mégalithisme, le site de Sion-Petit-Chasseur (Valais, Suisse), par Pierre Corboud
- La montagne sacrée du Bego, par Henri de Lumley et Annie Échassoux
- Le Val Camonica, par Andrea Arcà
- Aux temps des Celtes, par Philippe Curdy
- Les Étrusques, les Celtes, les Alpes, par Stéphane Verger
- Les traces de romanisation précoces dans le Diois, par Jacques Planchon
- Hannibal égaré dans les Alpes, par Michel Tarpin
- L’imaginaire de la montagne dans le monde antique romain, par Michel Tarpin
- Conquête et organisation des Alpes méridionales, par Pascal Arnaud
- Les aménagements routiers du col du Petit-Saint-Bernard, par Sylvie Crogiez-Pétrequin
- Les Alpes occidentales. Les villes de Cimiez, Suse, Aoste et Martigny, par François Wiblé
- Passer les Alpes en masse, par Michel Tarpin
- Les Alpes orientales. Les villes de Trente, Feltre, Belluno et Zuglio, par Elvira Migliario
- Une petite ville alpine : La Bâtie-Montsaléon, par Maxence Segard
Les actualités
- Découvertes majeures à Tournai (Belgique), par Raymond Brulet, Yohanne Bouche, Geoffrey Espel et Erika Weinkauf
- Meurtres Mésolithiques ? Les visiteurs mènent l’enquête, exposition à Toulouse, par Josselin Derbier
- Découvertes, chantiers en cours, expositions
- Livres du mois
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AT12 – Les Alpes Du Néolithique à la conquête romaine
Les grandes traversées historiques d’Hannibal, de François Ier ou de Napoléon furent l’occasion, pour les voyageurs, de rappeler l’aspect fondamentalement inhospitalier de la montagne et l’héroïsme de ceux qui l’affrontaient. Mais les populations et leur histoire sont les grands oubliés de ces exploits. Espace hostile, mais aussi lieu de transition, les Alpes, de la Protohistoire à nos jours, ont été un lieu à franchir, que les États et leurs armées devaient réduire à sa plus simple expression pour en faciliter la traversée. Pour Rome, elles se réduisaient aux passages qui permettaient de les franchir, dans un état d’esprit qui n’est pas très loin de celui de nos modernes planificateurs, rêvant d’autoroutes et de tunnels pour aller le plus vite possible d’un côté à l’autre.
L’ouverture européenne a contribué à une prise de conscience de la réalité d’un espace alpin, dont l’histoire, l’ethnologie et l’archéologie démontrent chaque jour qu’il n’était pas simplement constitué de marges. Dès le IIe s. av. n. è., Polybe, un Grec établi comme otage à Rome, rappelait à ses contemporains que les Alpins étaient des Gaulois et parlaient la même langue sur les deux versants, leurs noms de Transalpins et Cisalpins étant de simples commodités pour les Italiens. Il disait aussi avoir traversé les Alpes, en reconnaissait la difficulté, mais refusait les récits terrifiants qu’en faisaient certains auteurs. L’archéologie vient souvent confirmer ce propos de bon sens, issu de l’observation personnelle. Les stèles de Sion et d’Aoste ont depuis longtemps démontré la parenté des populations néolithiques des deux côtés du col du Grand-Saint-Bernard, et, par là même, la réalité des cultures alpines.
Dès le recul des derniers grands glaciers, des populations remontent les vallées et passent les cols d’altitude, pour chasser ou chercher des matières premières, mais bientôt après pour s’établir ou créer des campements saisonniers. Ces bergers, agriculteurs et guerriers ont laissé de nombreuses traces de leur présence, et en particulier ces immenses albums de bandes dessinées que sont les pierres gravées de la Vallée des Merveilles ou du Val Camonica. L’archéologie récente démontre presque chaque jour la précocité et la densité non seulement de l’occupation du territoire alpin, mais la diversité des voies empruntées, parfois difficiles, mais qui, toutes, visent à la rapidité. Car l’Alpin est souvent en déplacement, pour produire ce qui lui est nécessaire ou pour transporter les produits «de luxe» d’un côté à l’autre du massif. Mais il ne garde pas grand chose de ce qu’il transporte. Durant l’âge du Fer, on doit supposer sa participation au commerce entre l’Italie étrusque et la Gaule sur la présence d’objets étrusques au nord des Alpes: ils sont rares dans le massif. Avant la conquête, les Alpins contrôlaient sérieusement le transit et faisaient payer le prix fort lorsqu’ils se sentaient en position de force. Certains généraux de Rome y laissèrent des fortunes durant la Guerre Civile.
Conquises, les Alpes entrèrent dans l’empire aussi rapidement que discrètement. Seuls quelques peuples résistèrent farouchement et en payèrent le prix. Les ressources les plus importantes passèrent en partie aux mains de l’empereur et de riches Italiens ou Gaulois des plaines, mais des agglomérations importantes se développèrent aux débouchés des cols, parfois à la demande du pouvoir impérial, comme Martigny ou Trente, parfois dans l’intérêt d’un potentat local, comme Suse. Les aménagements routiers permirent de raccourcir certains trajets et de les sécuriser, sans pour autant rassurer les voyageurs, comme en témoignent les tablettes votives du Grand-Saint-Bernard. Soumis, les Alpins semblent avoir conservé leur compétence de passeurs de montagne et en avoir tiré parfois de substantiels profits, dont bénéficièrent en particuliers leurs puissantes élites. Ce que l’on peut deviner de la fortune des grandes familles valaisannes ou voconces (vallée de la Drôme) en témoigne. Au sein de l’empire romain, on retrouve quelques membres des élites alpines dans l’aristocratie italienne. On doit sans doute imaginer très tôt dans les Alpes des personnalités de l’envergure d’un Mathieu Schiner, utilisant sa position d’évêque de Sion (et de proche du pape Jules II) pour interférer dans la politique européenne du premier XVIe siècle. Au long des siècles, des principautés de passages ont fondé leur prospérité sur leur compétence à valoriser un milieu qui repoussait ou effrayait les gens des plaines.